« J’avais un besoin presque vital de tout comprendre. »

Le confinement vient d’être annoncé lorsque que la toute jeune trentenaire doit subir une mastectomie. Après une chimio, une immuno et hormonothérapie, Laurence est aujourd’hui d’autant plus investie auprès de la Fondation contre le Cancer, pour laquelle elle travaillait déjà bien avant son cancer.

Article paru dans Le Vif Weekend en octobre 2022 (lire tout l’article : ICI)

« En décembre 2019, j’ai remarqué une boule dans mon sein. Je me suis dit que ça allait passer, sauf que quelques semaines plus tard, la grosseur était toujours là. J’ai donc pris rendez-vous chez ma gynécologue, qui s’est voulue rassurante mais m’a quand même dit que ce serait bien d’aller passer une mammographie. Fin février, je fais donc le doublé écho-mammo, à la suite duquel on m’a recommandé de réaliser une biopsie et une IRM. Six mois auparavant, nous nous étions séparés avec mon fiancé. Hasard du calendrier, il est parti définitivement de la maison le jour de ma biopsie. Ça a été le pire jour de ma vie, la biopsie, les meubles qui ne sont plus là…

Pour les résultats, la gynéco m’avait demandé de revenir chez elle accompagnée. Cela m’a évidemment mis la puce à l’oreille. Lors du rendez-vous, elle m’a annoncé qu’elle avait une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c’est qu’il y avait bien un cancer et qu’il fallait enlever le sein. La bonne, c’était qu’a priori, il s’agissait d’une tumeur in situ, donc en surface. Cela signifiait que seule la chirurgie serait nécessaire. Pas de chimio, pas de radio… A priori.

Sur le moment, ma réaction était plutôt de savoir quand je pourrais retourner travailler et si je pourrais toujours partir au ski trois semaines plus tard. Je pense que les deux amies qui m’avaient accompagnée étaient plus choquées que moi, mais elles ont réussi à ne pas me le montrer. Ce soir-là, à quatre avec mon frère, on est allés au restaurant et on a fait des blagues, sans doute pour dédramatiser la nouvelle. Je garde d’ailleurs un super souvenir de ce resto. Même si, une fois seule dans ma voiture, j’ai fondu en larmes.

En plein Covid

Au début, je n’ai pas dit grand-chose à beaucoup de gens. Tout a été si vite. J’ai été opérée le 18 mars, premier jour du confinement. Je ne pouvais recevoir de visites à l’hôpital, et j’ai donc dû souvent annoncer mon cancer à mon entourage par téléphone ! Je ne me rendais presque pas compte de la bombe que je leur annonçais et du choc de l’autre côté du fil.

Une des amies qui était avec moi chez la gynéco est venue s’installer à la maison jusqu’en mai, pour ma convalescence. Avec le Covid, je me rendais toute seule à chaque rendez-vous. Donc sur place, j’enregistrais ce que disaient les médecins, et le soir, avec mon amie, on écoutait ensemble mes enregistrements, on réagissait, on notait nos questions. Comme je travaillais à la Fondation contre le Cancer, je savais qu’il existe un service gratuit qui s’appelle Cancerinfo pour poser nos questions. Quand je n’avais pas de réponse, je revenais avec ma liste de questions lors de mes rendez-vous suivants à l’hôpital.

Chimio et hormono

La suite ne s’est pas passée comme prévu : mon chirurgien m’a annoncé que les résultats des analyses montraient aussi des cellules invasives, et que j’allais donc devoir passer par les cases chimio et hormonothérapie. On m’a proposé de prélever un morceau de tissu ovarien et de congeler mes ovocytes, pour augmenter mes chances de pouvoir un jour avoir des enfants. C’est sans doute une particularité de vivre un cancer jeune, cette question-là se pose, même juste après une séparation.

Je n’ai, en revanche, pas eu besoin de faire de radiothérapie. J’ai pu bénéficier d’un traitement ciblé d’immunothérapie pour lequel je recevais une injection dans la cuisse toutes les trois semaines pendant un an. Dès les premières séances de chimio, on m’a mise en ménopause et l’hormonothérapie rythme encore mon quotidien aujourd’hui.

La bonne nouvelle, c’est qu’une reconstruction mammaire immédiate était possible. J’ai donc eu une prothèse temporaire, puis j’ai eu le choix soit de remettre une autre prothèse, soit de faire un DIEP : on utilise les propres tissus de la patiente. Finalement, j’ai choisi la prothèse. Dans dix ans, il sera encore temps de faire un DIEP si j’ai des enfants et qu’il me reste un peu de graisse en trop suite aux accouchements (rires). La cicatrice est très bien faite. Ça fait partie de moi, je ne peux pas dire que j’en suis fière ou que je suis à l’aise avec ça, mais ça ne me dérange pas plus que ça.

La mastectomie était une solution radicale qui avait l’avantage d’avoir, normalement, enlevé toute la tumeur, et tout ce que j’ai fait suite à l’opération, c’était surtout en préventif. Deux ans plus tard, je viens d’avoir un contrôle, et tout va bien. On ne parle cependant pas encore de rémission, c’est trop tôt.

Patient empowerment

De cette expérience, j’ai envie de mettre en lumière cinq choses : on oublie trop souvent l’entourage. On oublie de demander à la personne qui accompagne le malade comment elle va. J’ai vraiment vu à quel point mon cancer impactait beaucoup de gens autour de moi et j’ai trouvé que c’était parfois presque pire pour mes proches que pour moi. Moi, j’étais dans l’action, suivie et entourée !

L’après a été le plus dur : les proches se disent « maintenant elle va bien », ils ont besoin de souffler, je n’avais plus l’hôpital ou la revalidation… Je me suis retrouvée toute seule avec mes questionnements. Grâce à la Fondation, aux Relais pour la Vie et à l’asbl Re-source, j’ai expérimenté combien c’était important de rencontrer des gens qui savent ce qu’on a vécu, de bénéficier de certaines activités  et programmes. Sans être dans la victimisation, ça fait du bien de sentir un peu soutenue ou chouchoutée !

Le « Patient empowerment » est hyperimportant. Je me suis rendu compte que j’avais un besoin presque vital de comprendre, de savoir pourquoi on me donnait tel traitement, d’avoir les outils pour aller chercher les infos. Grâce à ça, j’ai pu éviter un protocole de chimiothérapie qui n’était pas forcément utile dans mon cas, et qui m’aurait fait endurer bien plus d’effets secondaires. Il faut que les patients comprennent ce qui leur arrive et qu’ils ne se laissent pas juste porter. C’est un véritable échange entre les médecins et leurs patients qui renforce les deux parties car elles prennent une part active dans les traitements mais aussi dans l’après. Ça ne se limite pas au cancer d’ailleurs.

Il y a d’autres effets secondaires des traitements anticancéreux dont on parle peu : les troubles cognitifs. Quand on est jeune et qu’on a d’importants troubles de la mémoire ou de la concentration, ça n’est pas évident à vivre. Et puis il y a l’aspect émotionnel : je suis passée par des phases de déprime qui me faisaient me demander pourquoi je m’étais battue. Heureusement, l’accompagnement par une oncopsy est aujourd’hui prévu et ça ne se limite pas à la fin des traitements. Je pense que la gestion du stress et des émotions a toute sa place dans la prévention.

Enfin, cette expérience m’a aussi appris qu’il ne faut pas attendre que notre corps nous force à nous arrêter pour prendre soin de nous-même. Avoir ce cancer jeune m’a permis d’apprendre cette leçon de vie assez tôt et de pouvoir aujourd’hui davantage m’écouter et m’arrêter, parfois même à accepter l’aide des autres.

Laurence